19/12/2020
"Mémoires de l'ombre", de Marcel Béalu, éditions Phébus, 8 décembre 1986, 264 pages, 92 F
L'EMPREINTE
Le fleuve en crue, la neige, l'escalier s'enfonçant dans l'eau noire... Souvenir au-delà mon souvenir ! Il pouvait être minuit. Une histoire de ce temps-là m'avait jeté, cœur vide, par les rues inconnues d'une ville rhénane. Quelque sotte idée me tenait immobile, accoudé dans l'ombre. Quand sur la première marche une femme se dressa. Et je la vis descendre à pas lents l'escalier qui s'enfonçait dans l'eau noire. Je n'avais qu'un geste à faire, un mot à dire pour l'arracher à sa folie. Cependant mes pensées tournoyaient comme sous une cloche de verre. Plus tard, bien plus tard m'apparut la réalité de cet instant. J'étais sans conscience aucune du drame se déroulant sous mes yeux, absolument envoûté par la volonté de cette femme. Et pourtant je la regardais avec une entière lucidité, me retenant de ne pas lui crier l'amour soudain et désespéré que m'inspirait son visage. Lorsqu'elle fut à deux pas de moi, il me sembla que ses regards croisaient les miens, mais déjà ses pieds touchaient l'eau, s'engluaient délibérément à ce piège liquide. Au bas des marches le courant recouvrant le quai atteignit ses genoux. Alors je la vis se tourner lentement vers le lit du fleuve et lentement continuer d'avancer, luttant et gesticulant avec violence contre le flot qui la prenait à mi-corps. Elle parcourut ainsi une vingtaine de mètres et le vent soulevant ses cheveux agita au-dessus d'elle une grande ombre folle qui parut l'engloutir. Quand je recouvrai l'usage de la voix, il était trop tard pour appeler à l'aide. Sans doute ai-je fait un rêve, me dis-je, cette apparition n'avait pas plus de consistance que les images qui hantent mon sommeil... Et j'aurais gardé cet espoir si, devant moi, dans la neige, n'avait été dessinée avec tant de précision l'empreinte de ses pas sur les marches de l'escalier s'enfonçant dans l'eau noire.
Marcel Béalu
21:04 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
18/12/2020
"Comme un chemin qui s'ouvre", de Michel Diaz, éditions L'Amourier, février 2019, 130 p., 14 €
A gestes tâtonnants, le vent fouille les arbres, qui bougent sous ses doigts, incantent le ciel à voix basse et meurent lentement d'un feu inconsumable.
Rien ne commence ici, rien ne finit. Le jour, ses coulisses nocturnes, sont aventure où l'on entend vivre les pierres. Où l'on peut lire leurs pensées dans les gestes soyeux des fleurs, recueillir les aveux d'un silence que troue le regard d'or pur des chouettes.
Rien ne commence, rien ne finit. Il nous suffit de regarder. Par-dessus l'épaule des apparences.
Et les choses sont là, comme posées sur le jardin de l'ombre, adossées à la nuit protectrice qui les accroît, émergeant du mi-jour. Sur les marges du monde concret, en retrait de ses turbulences. Dans l'énigmatique évidence d'une pure et non moindre réalité. Dans une permanence qui paraît incorruptible.
Claires images de l'offrande que nos yeux enveloppent dans le linge précautionneux de la sollicitude. Avant que d'en être plus que bouleversés. Y ayant décelé ce qui, en elles, doit son tribut à la douleur.
Comment viennent les mots pour les dire ?... Comme un reflet tremblant sur un miroir, un duvet d'oiseau sur la vitre, en hiver. Une pâle vapeur sur les lèvres. Une palpitation posée sur le bout de la langue.
J'ai marché, aujourd'hui encore, comme on peut s'égarer dans le labyrinthe de ses pensées. Soudain, la nuit est là, que je n'avais ni vue, ni entendue venir.
L'ombre des arbres se balance sur l'écran pâle encore du ciel, peuplant le monde de fantômes qui viennent se mêler, sans qu'on en sache rien, au monde des vivants.
Michel Diaz
N.B. : Un travail remarquable que celui de cette maison d'édition, à en juger par les auteurs qu'elle publie, sans coup férir, et ce malgré tous les obstacles sur le chemin de la Culture qui se dressent devant nous ces temps-ci, à suivre. De près.
Ici, un livre de Michel Diaz, qui publiera dans le numéro 80 de Diérèse un récit : "Dernières nouvelles du printemps".
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14/12/2020
"Ingrès", poème avec 2 apostilles de Jean-Clarence Lambert ; gravures, peintures et dessins de Jean-Marc Brunet, éditions A/B, 20/12/2015
Or voici l'or à découvert
son trésor errant d'une orée à l'autre
et forêt forêt forêt !
exigeante limite à l'abîme de mai
Ne décourageons pas nos cimes dormantes
vicissitude des statues à la dérive
énigme souhaitée/redoutée
miroir inassouvi de ce qui fut demain
fenêtre grand ouverte sur les constellations :
ce siècle-ci farouche à quatre hontes...
Quelles nouvelles de l'âme
reconnues par l'espoir
non ! l'inespoir
rumeurs pourpres
intimations du feuillage
Habile à dénouer les rumeurs d'attente
l'orage est à notre portée :
faisons l'orage !
Jean-Clarence Lambert
06:59 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)