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16/01/2021

Un poème d'Edward Thomas

Poète et essayiste, à peu près inconnu en France (!), Edward Thomas est né à Londres en 1878, de parents gallois, et mort à la bataille d'Arras en 1917. Ses méditations et les rencontres qu'il fit au cours de ses longues promenades dans le terroir et la littérature anglaises lui ont inspiré ses meilleurs ouvrages (The Heart of England, 1906 ; The South Country, 1909 ; A litterary Pilgrim in England,1917). Son style et sa langue ne sont pas sans influencer quelques-uns des poètes anglais d'aujourd'hui, comme John Silkin (traduit par Pierre Mironer in Diérèse 79).
Ses Poèmes, réunis en 1922 par Walter de la Mare, témoignent d'un tempérament impressionniste et mélancolique mûri par une relation prolongée avec la nature. Un seul livre de lui a été traduit en français en 1983, où figurent des extraits de son Journal, écrit peu de temps avant sa mort.
Le poème qui suit, inédit en français, est composé d'un jeu subtil de sonorités dans la langue mère, à lire à haute voix par les anglicistes, pour sa musique, incomparable, voici :

[Dehors dans la nuit]

Sur la neige dehors dans la nuit
Avec la daine
Les faons se déplacent invisibles ;
Et les vents soufflent
Aussi vifs que les étoiles sont lentes.


Comme un fantôme furtivement l'obscurité se referme,
Et lorsqu'une lampe s'éteint,
Sans un bruit, d'un bond plus rapide,
Que le plus rapide des chiens,
La voici - et tout le reste est noyé ;


Et moi, l'étoile, et le vent, et la biche,
Nous sommes ensemble dans la nuit,
- proches, mais éloignés pourtant -
Et la peur tambourine dans mes oreilles
Dans cette calme et triste compagnie.


Comme la lumière est petite et faible
Tout l'univers du visible
L'amour et le bonheur,
Face à la grandeur,
Aimée ou détestée, de la nuit.

traduit par Alain de Gourcuff


[Out in the dark]


Out in the dark over the snow
The fallow fawns invisible go
With the fallow doe ;
And the winds blow
Fast as the stars are slow.


Stealthily the dark haunts round
And, when a lamp goes, without sound
At a swifter bound
Than the swiftest bound,
Arrives, and all else is drowned ;


And I and star and wind and deer
Are in the dark together, - near,
Yet far, - and fear
Drums on my ear
In that sage company drear.


How weak and little is the light,
All the universe of sight,
Love and delight,
Before the might,
If you love it not, of night.


Edward Thomas

22:41 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

13/01/2021

"Jane Eyre", de Charlotte Brontë, traduit par Jules Castier, éditions Stock, 2/4/1947, 686 pages

"Je m'excuse, reprit-il ; la nécessité me contraint à me servir de vous."
Il posa une lourde main sur mon épaule et, s'appuyant sur moi avec effort, rejoignit son cheval en boitillant. Une fois qu'il eut saisi la bride, il la maîtrisa immédiatement et sauta en selle avec une grimace sombre, en faisant l'effort nécessaire, qui lui tordit sa foulure.
"A présent, dit-il, lâchant sa lèvre inférieure, qu'il avait immobilisée en la mordant vigoureusement, passez-moi donc ma cravache ; elle est là par terre, juste sous la haie."
Je la cherchai et la trouvai.
"Merci ; et maintenant dépêchez-vous avec votre lettre et rentrez aussi vite que vous le pourrez."
Un léger coup de son talon éperonné fit d'abord sursauter et se cabrer son cheval, qui s'élança ensuite d'un bond ; le chien se précipita sur ses traces ; ils disparurent tous trois :

     Comme une bergère que, dans la lande désolée,
     Le vent furieux chasse en tourbillon.

Je ramassai mon manchon et reprit ma marche. Pour moi l'incident s'était produit et était fini ; c'était simplement un incident du passé, sans importance, sans romanesque, sans intérêt en un certain sens. Pourtant, il marqua d'un changement une heure solitaire d'une vie monotone. On avait eu besoin de mon aide, et on l'avait sollicitée ; je l'avais accordée. J'étais contente d'avoir fait quelque chose ; tout trivial et transitoire que fût l'acte, il était cependant une chose active, et j'étais lasse d'une existence toute passive. Ce nouveau visage, aussi, était semblable à un tableau tout neuf introduit dans la galerie de la mémoire ; et il était différent de tous les autres qui y étaient accrochés : d'abord, parce qu'il était masculin, et ensuite parce qu'il était sombre, vigoureux et sévère. Je l'avais encore devant les yeux lorsque j'arrivai à Hay et que je glissai la lettre à la poste ; je le voyais, redescendant à pas rapides la côte, tout le long du trajet du retour. Quand j'arrivai à la barrière où s'était déroulé l'incident, je m'arrêtai un instant, j'y jetai un regard circulaire et tendis l'oreille, prise de l'idée qu'un bruit de sabots de cheval pourrait résonner de nouveau sur la chaussée et qu'un cavalier, enveloppé d'un manteau, avec un terre-neuve semblable à un Gytrash, pourraient apparaître encore une fois. Je ne vis devant moi qu'une haie et un saule têtard, se dressant droit et silencieux devant les rayons de la lune ; je n'entendis que l'infini frisson du vent errant par saccades parmi les arbres qui entouraient Thornfield, à quinze cents mètres de là ; et quand j'abaissai les yeux dans la direction de ce murmure, mon regard, traversant la façade du manoir, saisit une lueur qui brillait à une fenêtre. Elle me rappela que j'étais en retard et je pressai le pas.


Charlotte Brontë

17:41 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

12/01/2021

"Jamais et un jour", de Henri Meschonnic, éditions Dominique Bedou, 48 pages, mai 1986, 54 F

nous ne savons pas ce que nous avons fait à la rivière
elle brille sous un soleil qui ne se couche plus
ou ce qu'elle a fait de nous oui si le tableau c'est nous
et le paysage s'écoule
les moments qui n'ont pas d'avenir
nous portent
et ce qu'on n'a pas su dire
déborde d'un coup les mots qui donnent plus qu'on ne peut prendre
c'est le pli qui est resté d'un poème au coin des lèvres
sur le buste de Ronsard
l'amour lisse comme une statue
il s'arrête sur les affiches il nous met des yeux sur les doigts
et des doigts le long des jambes
il bouge la rouge qui s'enfonce et les autres belles
il remue la nuit qui luit la lune et les foules étoilées
la tour qui vole les oiseaux par la fenêtre
pendant que des savants savent
sur la poésie


Henri Meschonnic

20:11 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)