03/04/2021
"Cent ans au printemps", de Cécile Guivarch, éditions Les Lieux-Dits, coll. Cahiers du Loup bleu, 2021, 36 pages, 7 €
Les matins de Pâques
les cloches sonnent plus fort
précipitée dans le jardin
où les oiseaux ont fait leurs nids
les chocolats qu'il m'a montrés dans le tiroir
ont repoussé parmi les plantes
salades et choux du potager
*
nous les mangions ensemble
(il les aimait autant que moi)
* * *
Le jardin étendu plus loin que le jardin
les jours de pluie les herbes mouillées
sur le chemin interdit sauf riverains
des centaines de coquilles
les escargots déposés un à un dans un seau
pas pour une course de lenteur
les faire dégorger à l'ail puis au beurre
*
le persil toujours au jardin
(grand-père dans sa coquille)
* * *
Une musique interminable
celle du grand orgue
des moments me reviennent
comme des gestes de bonheur
les cloches sonnent
pourtant il ne reviendra pas
au moment de partir
*
je reste devant le tombeau
(à respirer à peine)
Cécile Guivarch
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28/03/2021
"Comme passe le vent", de Philippe Pujas avec 3 dessins de Bernard Leijs, éditions La Feuille de thé, avril 2020, 168 pages, 20 €
Sous un ciel bas de pluie il me manque le feu
Qui entretient la vie
De ceux qui, comme moi, ont eu le soleil pour complice
Compagnon des enfances
Les hivers de lézard à l'abri des maisons
A la lisière des forêts
Me reviennent à l'âme
M'emplissent de la chaleur d'alors
Quand je croyais le bleu inépuisable
Ici, je vis de gris et cherche dans le ciel
L'espoir d'une trouée dans les nuages
Où viendrait se glisser un rayon de soleil
Comme un retour de feu ou l'espoir d'un matin coloré
C'était pourtant autre lisière, pas à ne pas franchir
A quelques lieues de là, par-delà la montagne
Les terres sont déjà d'un sud brûlant
Et si vous vous risquez à ignorer la sieste
Si l'impatience et ses folies
Vous jettent hors des frais abris
Vous en serez puni de foudre sur la tête
Mais nous savons cela
Le feu d'été nous le tenons au loin
Nous fermons nos fenêtres et nous assoupissons
En attendant que s'approche le soir
Et avec lui un soupçon de fraîcheur
Et nous savons n'avoir commerce avec le sud
Avec l'au-delà des montagnes
Que quand l'été finit et que s'installe
La douceur des automnes
Un soleil plus clément
Un feu que l'âge a assagi
Nous attendons dans notre chambre
A lire ou à rêver à nous bercer d'une mouche qui passe
Ponctuation du temps qui s'abolit
Mon aïeule fermait la porte
De rideaux de bouchons légers
Comme le vent de mer
Et nous les traversions comme une promenade
Vers des âges anciens
Et le bourdonnement d'alors
Me revient en écho
Dans celui d'aujourd'hui
Philippe Pujas
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25/03/2021
"Le voyage d'Alep", de Salah Stétié, éditions Les Cahiers de l'Egaré, coll. Premiers feuillets, 10/7/1991, 56 p., 500 exemplaires, 50 F (avec une photo du poète et un portrait signé par Albert Féraud)
J'ai souvenir d'avoir publié des inédits de Salah Stétié dans le numéro 30 de "Diérèse" (page 70 à 72) pour la livraison d'été-automne 2005, d'avoir confié le travail d'impression à un artisan du XXe parisien, qui s'était "acquitté" de sa tâche en me confectionnant un dos carré-collé comme je n'en n'avais jamais vu, à l'encollage si hasardeux qu'il ferait frémir tout professionnel digne de ce nom ! Mais, bon, face à ces petits braquets en marge de l'escroquerie, qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !
... Je republierai les fameux poèmes de Salah Stétié dans ma prochaine note blog (le numéro 30 est à présent épuisé)... J'avais alors déjeuné avec ce poète, qui n'est plus de ce monde, dans un restaurant libanais du boulevard Montparnasse et il m'avait à cette occasion conté ses relations difficiles avec telle maison d'édition en vue, pour des raisons peu ou prou mystérieuses (entre autres sujets abordés). A la réflexion, ce fut un moment de première grandeur - l'envergure de l'homme égalait il est vrai celle d'un Yves Bonnefoy - moment d'exception comme j'en ai peu connu depuis.
En attendant de vous faire relire ses poèmes de 2005, cet extrait du "Voyage d'Alep", en page 21 :
*
"Une explosion de feuilles et d'air vif : le printemps. On s'était endormi dans l'hiver. Ce matin, la tiédeur me réveille. Je respire une large lumière. Sur ma fenêtre, deux tourterelles causent.
L'événement fut précédé de grandes eaux. Le ciel trop pur de l'hiver enfin crevait. Les pluies bleues tombaient du ciel gris. Elles tiraient du cœur fondu sa plainte heureuse. Les nuages brûlaient doucement.
On l'attendait. On l'entendait venir.
Tout commença par un peu d'herbe au bord des routes. Herbe d'angoisse. Le lieu de pierre, aurait-on dit, s'attendrissait. Puis d'un coup, les collines vêlèrent.
Les arbres bandent de partout vers l'astre adulte. Printemps sans brise. L'âme n'est rien qu'une présence épaisse.
La nuit sera secrètement tendue de sèves. Les aiguilles d'un autre hiver la perceront. Mais le cœur souffre déjà l'été précoce.
... Venu de bien loin, de ciel bleu, pour se perdre à nouveau dans le vague, le Kouek, insoucieux de ses rives nouvelles, continue de rouler ses eaux brunes."
Salah Stétié
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