16/05/2020
"Les fileuses" de Hédi Kaddour, dessins de Renée Mayot, éd. Le Temps qu'il fait, 8 mai 1995, 56 p., 65 F.
La vérité
pour Iris et Gérard
Un goût de pommes au miel, de petit
Acide accompagne les larmes lourdes
Du vin, et son ambre à reflets verts
Parle d'anciens automnes. Entre nature
Et temps, au jour de fête, le débat
S'est rouvert, tandis qu'un convive
Remarque : Si Voltaire écrit des contes
C'est que la vérité pour être comprise
Doit d'abord être crue. Sur le tapis
Devant la cheminée dort une chatte
Qu'on enjambe doucement pour apporter
Les tranches de pain tiède, la terrine
De bécasse mélangée au foie gras,
Aux pistaches concassées à la main.
Hédi Kaddour
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15/05/2020
"Suites terrestres", de Hubert Voignier, Cheyne éditeur, février 1991, 64 pages, 1200 ex.
Extrait d'un livre qui m'a bien fait rêver, et m'a ramené en l'année 1980 : à l'escalade avec deux amis de Millau, du glacier suspendu des Écrins face Nord ; au passage de la rimaye terriblement émouvant et à l'arrivée au sommet, à une température telle que nous ne pouvions planter nos piolets à mains nues tant la glace pierreuse y était compacte, hostile absolument. (Ma jeunesse s'enfuit...) Amitiés partagées, Daniel Martinez
XVI
D'un problème concret que me posait la terre, j'ai dérivé peu à peu vers le domaine, plus imaginaire, de la mémoire. Sans doute. L'enfance, bien entendu, jardin suspendu dans la nuit refoulée de l'être - le non-sens absolu de la mort. Et puis les errances, l'irrésolution. L'âge adulte, probablement.
XVII
Mais il y a encore autre chose, de plus immédiat et de plus impérieux peut-être, dans la préoccupation obstinée de jardins suspendus, de situations géographiques extrêmes, inconcevables. Impossibles demeures qui me réjouissent en dépit de leur précarité, leurs symbolisme obscur : qui m'encouragent. Ainsi, je ne peux réprimer une joie singulière à l'idée notamment de glaciers en équilibre entre des barrières rocheuses ou de brèches, de cols, réputés difficiles d'accès. Les cartes de haute montagne, consultées par simple distraction bien souvent, me révèlent dans l'abstrait l'existence de glacier suspendu, glacier de la nacelle, col infranchissable, etc., situés quelque part, en un massif abrupt, défendu, du relief. Et je ne parviens dès lors à me défaire de l'attrait qu'exercent de tels lieux inaccessibles, telles exceptions, sur ma pensée. Je ne suis occupé, longuement, que de leur appréhension et de leur salut. Je pars à leur recherche et je rêve, je rêve d'une autre plénitude qu'ouvre leur présence indemne - leur champ libre - dans le vide. A la limite, la terre ne m'intéresse plus, ni les arbres, ni les jardins... Je ne convoite plus qu'une zone idéale, absolue, entre le monde et l'impossible. Une frontière, un carrefour où se résolvent - comme au sommet d'une montagne - les contradictions de la matière, les extrêmes. Peut-être, une preuve de l'infini, par-delà l'image même de la fin, le recommencement du désert. Comme le semblant d'une autre ère.
Hubert Voignier
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14/05/2020
"Présence du masque", Eric Chassefière, éditions Sémaph[o]re, décembre 2019, 90 p., 12 €
"Là où les faisceaux de la raison se brisent
contre les nuages, le sable parle à nos sens".
Antonin Artaud
La profondeur de la musique est à la mesure
du silence des doigts courant sur le manche
main gauche araignée souple déployant sa danse
tandis que l'autre main avance en funambule
tirant équilibre des mille hésitations de la corde
à l'instant où s'y posent les yeux du guitariste
musique infiniment tissée et délicate
que l'interprète cisèle dans l'écoute attentive
du public disposé sur deux rangs en arc de cercle
dans la salle attenante à l'église
décors tout en boiseries silence que brise parfois
le cri d'un oiseau qu'on dirait jailli de la musique elle-même
Eric Chassefière
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