13/05/2020
"Une fin d'après-midi à Marrakech", de James Sacré, éd. Ryôan-ji, 1/1/1988, 200 pages
Ton nom s'établit dans mon corps silencieux, je me souviens
de la lumière et de l'eau à la Ménara de Marrakech.
L'inconsidéré tumulte du cœur
S'apaise dans la palmeraie tranquille des mots. La vertu d'une phrase que tu m'écris
Irrigue ce qui ressemble peut-être à de la vie dans ce poème,
Dans nos corps comme une fragile clôture en pisé temps :
Je voudrais (est-ce qu'on entend vraiment ta voix ?)
Que mes mots banals te soient comme une eau claire qui coule bien sûr, mais aussi
A contenir au moment de la soif.
James Sacré
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12/05/2020
"En route pour Haida Gwaii", de Jean-Claude Caër, éd. Obsidiane, 25/10/2011, 72 pages, 400 ex, 14 €
Ce monde obscur à ma fenêtre
Cinq grandes grues oranges
Crêtées d'une lumière rouge
Avec les traînées de nuages sur la mer.
Monde de reflets. Monde sans substance
Où souffle l'esprit de la Femme Squale
Où passe en un éclair l'orque
The Killer Whale
Et plus loin ce ne sont plus des grues qui se dressent,
Mais les totems poles
A Skeedans, à Ninstints,
Sur les îles de la Reine-Charlotte
Monde sans substance
En un éclair la voie lactée se dévoile
Comme des diamants tendus sur un fil d'or -
Molécules de temps tissées sur la surface de la mer.
Ainsi passait la barque haida et son chant
Et ils ramaient de toutes leurs forces
Dans le monde moderne.
Jean-Claude Caër
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Note de l'auteur : Haida Gwaii, littéralement L'île du peuple, anciennement Queen Charlotte Islands (les îles de la reine Charlotte), est un archipel situé sur la côte sud-ouest du Canada, composé essentiellement de deux grandes îles. Les Indiens Haida vivaient sur cet archipel et sur les côtes environnantes. Cet archipel fut découvert par George Dixon, un capitaine de James Cook, en juillet 1778, alors qu'il naviguait à bord du bateau Queen Charlotte. Il fut renommé officiellement Haida Gwaii le 18 juin 2010.
Des mats totémiques (les totems poles) ornaient "les maisons des habitants les plus puissants".
07:20 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
11/05/2020
"Journal du confinement" VIII
Voilà, cette première période de confinement est terminée, mais je ne me sens pas vraiment "déconfiné", étonnant non ? Mentalement, tout d'abord, car j'ai le sentiment que nous sommes passés dans un autre monde, dans une autre histoire, quand bien même s'en défendrait-on. On peut en rire bien sûr, en sourire ; ou trouver la pilule tout simplement amère. Michel, un chargé de ressources humaines, me dit : "Je n'ai rien changé à ma vie, ou presque. Mais le stress est bien présent, en tapinois. Alors je marche après le travail. Rien ne m'interdit de passer par la République pour arriver à la place d'Italie. Les journées s'allongent, autant en profiter quand il ne pleut pas." Toujours au sujet de la crise sanitaire, il essaie d'en savoir un peu plus sur mon ressenti. Mais je demeure évasif, il n'en saura pas beaucoup plus : juste que cette vie en retrait est assurément pour ma personne, physiquement j'entends, le prolongement de l'ancienne. Par contre, nuitamment, mes rêves en deviennent étonnants. Par exemple, pas plus tard qu'hier : je me revois où j'ai vécu un peu plus de six ans, au 28 boulevard Aristide-Briand, bâtiment B, à Montreuil. Patrick Besson en a fait un livre éponyme, de son séjour à ladite adresse, aux éditions Bartillat, en 2001 ; il habitait, lui, le bâtiment C. On l'appelait "la Cité du Printemps", sauf que dans mon rêve on l'avait débaptisée pour la désigner du doux nom de "Blue Hills" : les collines bleues. La poésie s'y était-elle invitée ?
... Toujours est-il que par cette nuit printanière, je restais là, devant ma porte au quatrième, silencieux, sans pouvoir glisser la clé dans la serrure afin d'ouvrir la porte d'entrée. Dehors, il faisait froid, la pluie tombait à seaux et le vent agitait furieusement un grand frêne dont les branches les plus hautes criaient secours. Debout, comme inconscient, les yeux me brûlaient et à ce moment-là j'entendis une voix me chuchoter à l'oreille : "Tu manques de sommeil". Au réveil je n'avais toujours pas réussi à entrer dans mes appartements.
J'ai relu en soirée les Proverbes de Roger Munier (Atelier La Feugraie, 1992), et noté : "On n'est qu'enveloppé par la vie. Non abrité en elle, comme on croit. La vie nous fait vivants, puis nous laisse - être vivants." Saurait-on mieux dire ? Être vivant signifie-t-il vivre, à plein, sa condition d'homme ?, je crains que non. Juste l'ombre des fleurs sur le mur oriental, et ces rumeurs au-dehors devenues mots, phrases accompagnées par le froissement de l'air, en quête d'une histoire, la mienne, la vôtre, à conjuguer de même.
Lire et écrire me sont devenus un acte presque clandestin. Un peu comme si tenter de produire du sens, coûte que coûte, devait en passer par une sortie du monde, un rejet de ses masques, du présent immobile et de sa violence contenue.
Plus loin, au chapitre quatre : "La plupart ont besoin d'être rassurés. L'homme a besoin d'être rassuré. On ne sait pas au juste de quoi. Rassuré." Quête d'indices, pour confirmer la rationalité de ce complexe environnemental. Et puis l'attente corrélative, d'une explication. Il faut que cette crise ait une raison, une raison d'être, fût-elle déraisonnable. "Si les Chinois..." proclame Yann Arthus Bertrand. Lui aussi a besoin d'être rassuré, un réflexe humain en quelque sorte, mais pas seulement. Disons que la conscience animale du danger se suffit à elle-même. Dans ce sens, l'instinct est seul face à lui-même.
Nous nous sommes construits, à travers les siècles, contre la nature "marâtre". Et, incroyable !, nous voilà à nous cacher devant elle, à demander aux populations de se calfeutrer chez elles, pour donner naissance à une sorte de désert urbain, à la manière d'un Chirico, dans le désordre des heures et des jours invisibles à leur tour. Miracle, l'être humain a ainsi gagné en invisibilité ! Ce vingt-et-unième siècle tient donc toutes ses promesses... On se gardera d'exempter l'homme de ses responsabilités, comme de le considérer une simple victime.
Ou d'oublier, entre mille autres bévues, de compter précisément les 741 spires du grand chêne abattu dans la forêt voisine d'Ozoir, à l'entrée de ce qui fut la propriété du baron de Rothschild. Tout cela s'est passé en un rien de temps, la sciure pleurait sur les mains gantées de ces "braves" gens, venus jeter à bas l’œuvre du temps, en sa majesté.
Pulsations de vase dans le bassin, des poissons se faufilent entre les gouttes de pluie et le vent ronfle comme un feu obscur.
Daniel Martinez
05:36 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)