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06/10/2020

"Embrasements - poèmes d'amour" - de Claude Vancour, aux éditions Les Deux-Siciles, 106 pages, juin 2006

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Anne Muller-Lassez (1940-2009), plasticienne proche des surréalistes, auteure de boîtes-collages, a  su donner à ce livre l'éclat qui est le sien, en l'illustrant d'un fusain et de quatre encres de Chine originales. La dessin de la première de couverture est de sa main. La bouche y est le premier cocon de l'Astre qu'embrasse la rousseur odorante de l'automne ; elle nous chuchote ce qu'est la vie et ses privilèges, ravie de plaisir au souffle brûlant de l'autre.
Dire aussi et surtout que fut une chance pour les éditions Les Deux-Siciles que d'avoir su intéresser une plasticienne de cette envergure...

Le présent ouvrage, à la couverture argentée (un travail d'imprimeur des plus soignés, signalons-le au passage) est le vingt-troisième de la collection Poésie. Voici l'une de ses pages, deux strophes extraites d'un poème de Claude Vancour qui, comme votre serviteur, publie régulièrement dans La Revue alsacienne de littérature :

D’AMOUR (II)


          Poser la veine où bat mon sang de vie
          contre la vôtre, pouls contre pouls,
          alacrité de la parole de votre lymphe,
          de la chaleur des tessitures,
          tranquillité fébrile, définitive
          des retrouvailles

*

          Jusqu’à ce que
          la peau chuchote à l’autre peau,
          jusqu’à ce que
          l’amour nous ait réappris à boire.


Claude Vancour

05/10/2020

De la poésie, pour Pierre Bergounioux

La poésie, dans son essence, est opposition, ouverture maintenue, attente perpétuée. Elle refuse la prose du monde. Elle est en charge des possibles enfouis, des visions que la visée dominante écarte, de ces vues qu'on dit de l'esprit. La politique le sait bien qui, dès sa naissance à elle-même, à la conscience de sa force et de ses fins, de sa nécessité, proscrit les poètes... Ils parlent de ce qui, à ses yeux, n'est point, soit qu'ils nourrissent, à l'écart, des songes purs, soit qu'ils s'obstinent à douter de la nature des choses, à contester ce qui passe pour la réalité.
Nous touchons à une heure incertaine. Les maux de jadis, les famines et les pestes, les grandes tueries, les misères et les travaux d'esclaves ont reculé. Mais une ombre d'une autre nature s'étend sur le paysage. Elle obscurcira, si l'on n'y prend garde, les versants imprévus, les combes infusées de brume et de soleil, les bosquets du rêve, les chemins qui mènent vers l'inconnu, le pays des merveilles. La poésie est création, comme l'indique le nom enfoui sous son nom. Elle était à l'origine. Elle fut de tous les instants, des hautes heures et des temps noirs. Elle est plus que jamais d'actualité en ce vertigineux moment où se pose avec une acuité sans exemple ni précédent la question de notre sens.


Pierre Bergounioux

La naissance de l'écriture, pour Nicole Granger

L'écriture est une parole silencieuse et obscure. Elle vient du fond des soifs, quand l'errance de l'humanité a commencé à devenir parcours conscient et répété vers les points d'eau : écorchures dans l'écorce des troncs d'arbres, foulure des pas dans la ligne des herbes : signes, lignes, lignes de signes, lisibles pour le seul clan des initiés.
Dans l'écriture, il n'y a pas le regard, pas le souffle, pas le timbre de la voix. Pas non plus les hésitations, les répétitions involontaires, les imprécisions que le geste rectifie. Il y a les signes obscurs, clos sur eux-mêmes, abstraits. La parole s'y trouve comme pétrifiée, soudain immobilisée ; elle a perdu ses frémissements, ses halètements, mais en même temps elle a couru plus vite qu'elle-même, au-delà du souffle, dans la saisie de ce qui lui était inaccessible en tant que parole, et que les signes écrits posent devant le regard, provisoirement stabilisés avant l'envol des significations.

Lire est la tâche qui consiste à rendre l'écriture à la parole, d'une part en l'abordant comme une parole, d'autre part en l'absorbant dans sa propre parole pour la rendre - affaiblie ou amplifiée ; dénaturée ou exaltée ; pure ou équivoque, en tout cas transformée toujours - au flot immense du langage. Ce travail de délivrance exige l'acceptation des règles du clan qui va à ses points d'eau par ce chemin. Celui qui ne lit pas est menacé de mourir de soif.


Nicole Granger

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