08/09/2021
Franck Chalendard expose à la galerie Ceysson & Bénétière à Lyon : du 9 septembre au 9 octobre 2021
Minor Waltz
Galerie Ceysson & Bénétière : 21 rue Longue, 69001 Lyon, dans le nouvel espace ouvert depuis le 18 juin.
Du mardi au samedi, de 11h à 18 h. Tél : 04 27 02 55 20
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07/09/2021
"Littérature vagabonde", de Jérôme Garcin, éditions Flammarion, décembre 1994, 348 pages, 120 F
Détour
Philippe Jaccottet à Grignan
Ce n'est rien : tout juste un cerisier chargé de fruits dans cette lumière d'été pleine de grâce qui se prolonge après le coucher du soleil - une "grappe de feu apprivoisé". Ce n'est rien : tout juste un verger vert et blanc de cognassiers sous la tranquille pluie d'avril - une "musique de chalumeaux et de petits tambours encore assourdis par un reste de brume". Ce n'est rien : tout juste, à l'aube, un chant d'alouettes, au sommet de la Lance, qui forcent la voix pour appeler le jour - une "cohorte d'anges cherchant à soulever le couvercle énorme de la nuit".
De ces riens quotidiens, Philippe Jaccottet continue avec patience et humilité d'être le traducteur dans un Cahier de verdure où, par le miracle d'une prose cristalline, le cahier se confond avec la verdure, la parole avec ce qu'elle désigne si bien : où sont les mots, où les cerises ? L'auteur de Chants d'en bas qui célébrait, en 1975, "une fête longtemps perdue" s'applique toujours, de poèmes en pensées, de promenades en souvenirs, à rassembler les "fragments d'une joie" très ancienne, très lointaine, dont il saisit les éclats dans les paysages de la Drôme, une page de Roud ou Hölderlin, une fleur de séneçon, la légèreté d'un rire, la limpidité d'un regard, tout ce qui l'aura gardé de se "dessécher", et nous aura abreuvés. Qu'il nous reste Jaccottet est un bonheur complet et, comment dire, rassurant.
Il vit à Grignan, entre plaine et montagne - "cette masse énorme comme une cathédrale, comme des orgues de roche et de glace". Là, il fréquente Musil et Ungaretti, écrit des poèmes simples et lumineux. Les lire, c'est vivre mieux. C'est découvrir la légèreté. Des pivoines, il dit dans Après beaucoup d'années que, groupées, elles dessinent une figure de ballet. Des eaux fugitives de la Sauve, il écrit qu'elles sont tellement claires qu'on penserait que "c'est le ciel lui-même qui les a déléguées jusqu'à nous sur ces degrés de pierre". Il aime que les alouettes ne soient "jamais fatiguées de bondir, même au-dessus des champs boueux de l'hiver".
J'ai découvert Philippe Jaccottet il y a une vingtaine d'années, grâce à son compatriote Jacques Chessex, qui m'avait aussi initié à leur maître commun : Gustave Roud. De Jaccottet, je relis souvent L'Ignorant, Airs, Requiem, La Semaison, A travers un verger. Ce sont des amis fidèles. Dans la poésie contemporaine, où trop souvent la mathématique des intentions écrase l'émotion, Philippe Jaccottet nous réconcilie avec un genre si pur et si exigeant qu'on l'avait cru oublié de nos contemporains. Il dessine un avant-goût de l'éternité.
Jérôme Garcin
11:40 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
06/09/2021
Poésie brésilienne : Marcos António Siscar, "O roubo do silêncio", 2006
Marcos António Siscar est né à Borborem (État de São Paulo), en 1964. Il est professeur de Théorie de la littérature à l’université de São Paulo. Il a séjourné à Paris de 1988 à 1992, date à laquelle il a soutenu un DEA à l’université de Paris 8. En 1995, il a présenté une thèse doctorale en Littérature Française, sur l’œuvre de Jacques Derrida.
Traducteur, entre autres, de Tristan Corbière, Michel Deguy, Jacques Derrida, Jacques Roubaud, Marcos Siscar a publié plusieurs recueils de poésie au Brésil et participé à l’anthologie 18 poètes portugais + 1, aux éditions Michel Chandeigne. Il est responsable de la Revista de Letras (revue de l’université de São Paulo), et l’un des éditeurs de la revue luso-brésilienne Inimigo Rumor. Son premier livre a été publié chez L'Harmattan en 1998 : Jacques Derrida : Rhéthorique et philosophie, suivi par Não se diz (Rio de Janeiro, 1999), Metade da arte : 1991-2002 (2003), O roubo do silêncio (Ed. 7 Letras, 2006), Interior via Satélite (2010), Manual de flutuação para amadores (2015). Son dernier titre : Isto não é um documentário (août 2020).
Les proses poétiques qui suivent ont été traduites pour la première fois par Raymond Bozier et l'auteur in Diérèse 36 ; ils sont extraits de O roubo do silêncio, Le rapt du silence, opus accueilli ensuite par les éditions Le Temps qu'il fait. Un titre pour le moins prémonitoire, au regard du nombre de ses livres que l'on peut lire en français. Voici :
Poésie en chemin
Si juste un instant juste de la pointe d'un fil tu te rappelais tu mettais au moins sous les yeux la cérémonie sans retour le visage qu'on ne refuse si tu te voyais maintenant en s'écoulant en se laissant si tu sentais au moins l'enflure des mots signifiant sans savoir l'inflation des corps convergeant vers leur arrêt si tu ne t'attachais pas à la supposition convaincue de prothèses de conjonctions d'appuis pour le cœur de tubes pour le puits sombre des artères de liquides bleus pour les cellules si juste un instant tu mourrais combien d'amour te rendrait insensible combien de faits te rejoindraient de poésie te ferait être contre tes désirs des faits de communauté de communion contre tes échantillons de douleur et de peur de force et de secret et cependant pour le moment dans ce bout de la rue juste un coin de rue ces larges enjambées répétées ces lieux réitérés pour la recomposition du temps de la narrative en renouvelant des fantasmes en créant des soupçons la trame l'attente l'espoir l'ajournement le rêve du corps immobile comme une machine belle et inutile sur les décombres de poussière ou la goutte argentée de sueur descendant de tes narines.
Diptyque du silence
1
J'aime ton silence, la façon dont tu te tais. Te voilà, pâle, assise contre la paroi. Je protège avec inquiétude la bougie, fragile, de l'intempérie insoupçonnable d'être aimée. Je préfère ne pas dire que je t'aime, la jouissance lente du regard nous suffit. Je n'ai pas non plus besoin d'écrire ton nom. Ce qui n'a pas été dit peut-il être oublié ? Pour que le verbe existe, au début, il a fallu du silence dans la chair. Puis, la parole naissante, lui a donné des limites, a inauguré le vers et composé l'histoire avec de l’interruption. Je ne sais pas pourquoi j'ai besoin de te dire tout ça.
2
J'ai été interdit de silence. Je connais bien ce qui fait mal. Je lis sur chaque partie de mon corps l'histoire d'une humiliation. Quand on mâche le bâillon, il n'y a que le corps qui médite, mélancolique, volontariste, hors de ses gonds, en deçà ou au-delà de ce dont il s'agit. Le corps ne se tait pas, il fait du témoignage volontaire. Ce qui n'a pas été dit peut-il être oublié ? Seul ce qu'on ne dit pas mérite d'être dit. Le verbe s'est fait chair par le silence. Mes mains font les gestes d'un paysan, dont la féroce agriculture m'apporte la promesse de l'oubli.
(à Jaime Ginzburg)
Marcos António Siscar
03:04 Publié dans Auteurs, Diérèse 36, Traducteurs | Lien permanent | Commentaires (0)