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01/05/2021

"Cahier d'ombres" de Philippe Denis, éd. Mercure de France, 12 juin 1974, 128 pages

Le partage


Par cette conque de mémoire,
je viens,
je viens sous ma mort...


A l'orée des sangs
filtrés par tous les dépaysements,
ma parole
soutient dans l'horreur
ce manque de signe.


Et pour toujours,
fils, je suis
orphelin de cette mémoire.

 

Si près, maintenant,
dans l'oubli,
au rebours de l'âge...


Où la douleur,
seule, me crée -
j'avance...
je note des cris,


je me sépare
de ce qui me sépare,


- ajusté à mon effroi,
je viens du fond de mon souffle.

 

Cerne,
loque de cette lampe à minuit,
la mèche du cœur baissée.


(l'assiette
est un trou sur la table


Dans le vent,
dehors -
la ronce se dilate


(pierre de taille du souffle

 

Je vis sans objet -


sur mon sang
la coque
d'un rêve
conjugue l'espace...


Tardive image
d'un couple -
j'incarne la douleur
de n'être jamais né.


Philippe Denis

20:24 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

29/04/2021

"Du sens de l'absence", de Claude Louis-Combet, éditions Lettres Vives, février 1985, 64 pages, 55 F.

Un monde qui aurait été habité, il y a très longtemps de cela, et qui aurait connu, en son temps, activité, prospérité, fécondité...un monde jadis gros de lui-même et de son bonheur édifié dans l'assurance d'une tranquille inconscience... un paradis, en quelque sorte.

De cet extrême passé, on ne saurait strictement rien dire. On ne le connaît - ou plutôt on ne l'imagine - que par défaut, parce que nous vivons entourés de choses qui, toutes, nous renvoient à cet au-delà de tous les possibles sensibles et sensuels, en même temps qu'elles nous confirment dans notre juste place : ce moment désertique où s'absorbe notre vie comme toute vie. C'est de là, en effet, de cette terre sans eau ni relief, que nous pensons notre destin. C'est de là, sur ces zones qui, pour être frontalières, n'en sont pas moins infinies, que nous découvrons, en même temps que notre rigoureuse finitude, notre vocation à l'absence.

Il n'est pas de chose, si banale et si humble soit-elle, qui ne puisse, à un certain moment, figurer concrètement et symboliquement notre radicale désertion de l'être - non seulement parce que notre rapport aux choses est, nécessairement, de l'ordre de l'extériorité (de la contiguïté, de la juxtaposition...) mais parce que, dans leurs formes (esthétiques) comme dans leurs fonctions (pratiques), les choses désignent toujours l'au-delà de ce que nous sommes. Il suffit, pour le découvrir, de pratiquer l'inattention.

C'est dans le moment où la chose, manifestement, ne sert à rien, qu'elle accède à son statut de réalité éminemment significatrice de notre indigence ontologique - nous indiquant, à l'instar d'un doigt, qui serait le doigt de Dieu pointé sur chacune de ses créatures, le creux absolu qu'elle porte en elle, et avouant, par là même, que, dans sa compacité traficable, elle n'est jamais que la surface contingente et muable de ce qu'elle prétend être ou de ce que nous avons décidé, une fois pour toutes, qu'elle doit être.


 Claude Louis-Combet

20:08 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

28/04/2021

"Fables pour ne pas", de Bernard Noël, vignette de couv. C.G. Guez Ricord, éd. Unes, 96 pages, 19/11/1985

                                                   La clef
                                                   Où est la clef ?
                                                   Les insectes se la passent
                                                   Les balais la balaient

                                                   Henri Michaux.

Fable des mots nés


       il s'est vêtu de papier
       l'homme noir

       il a sué sa poussière

       il a dit
       maintenant
       lisez

 

       la terre a produit
       des mots

       les mots ont produit des mots

       le bout du monde
       a poussé au bout de la langue

       tout s'est couvert
       d'une peau de temps

 

       il y a eu l'avant

       il y a eu l'après

       et la vie de derrière le dos
       et la vie de devant les yeux

       on a perdu le milieu

 

       qu'arrive-t-il
       disait-on

       le soleil est une mouche
       qui laisse des pattes partout

       on prend le frais
       à l'ombre des lettres

 

       alors
       la
       vie
       est
       devenue
       le
       mot
       manquant


Bernard Noël

P. POEME 1 ROGNET 1.jpg

Dessin de Pacôme Yerma

20:08 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)