10/08/2020
"De singes et de mouches", de Jacques Dupin, orné d'encres de Pierre Alechinsky, éd. Fata Morgana, 64 pages, 777 exemplaires
"A poem is not made of words"
"Un poème n'est pas fait de mots"
George Oppen
Tant que je respire ils dansent
une danse aux bras trop longs
une pensée volubile
une langue de verre une langue
de soufre
et de pigments de fer égarant
l'ocre de l’œil
excrémentiel
le bleu grisou de l'interstice.
Ils dansent ils sont revenus
graffitis sur la paroi
métaphores dans le nuage
pour ensanglanter la sphinge
décaper à mort
de sa lèpre de ses mouches
de son arrière-saison de lances
lunaires
la pointe de feu
de l'énigme
(un élargissement du soleil
un coma
du ciel second
sa grimace dans la vitre
aveuglant le verre)
et le soufre.
Jacques Dupin
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05/08/2020
"L'enfer vaut l'endroit", de Michel Pierre, éditions des Vanneaux, 30/11/2005, 76 pages
Le temps
A peine si le temps use l'espace que l'on doit traverser pendant le sommeil, où l'existence tenue pour la seule manière de marcher, pas davantage le reproche, l'amour, la haine qu'il domine, ce temps qui est juste un peu de lassitude sur le dos de la main, l'aveu, à chaque instant, de rugir avec les fauves, d'inspirer plusieurs de nos destins. Ce temps qui reste une personne indifférente à l'égard des dieux, aux règles de la grammaire, aux positions du doigt qui le désigne par la fenêtre, si lointainement que les oiseaux s'y posent avant de disparaître. Mais ce temps, c'est aussi vous qui prenez silhouette sur le clocher, figure du village, bastion d'enfance au gré du bonheur et de ses tuiles, vous qui ne portez aucun signe de tristesse ni de chapeau glauque et qui me ressemblez de mieux en mieux dès l'approche de notre mort quand j'examine les doublures du plafond qui m'oppresse, le regard qui se perd au fond de l’œil, le rire itou dans notre gorge repliée. Le temps qui devient mon nom, sans vous ou l'inverse, ou juste le souvenir de nos absences de la route qui fuit.
Michel Pierre
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03/08/2020
"L'Euripe ou la belle vie", de Pierre Bettencourt, éditions Brandes, 7 juin 1989, 545 exemplaires, 46 pages
Le supplice
Un victimaire devait me conduire au supplice.
Mais il avait prévu un petit voyage avec une amie, il demanda un congé.
On me garda donc en prison en attendant son retour. Je passai quelques jours heureux à jouer aux dames avec des camarades de cellule et à faire des mots croisés.
Puis le victimaire refit surface, mon heure était venue. Il m'emmena vers le gibet où il devait me pendre. C'était par une belle matinée guillerette d'hiver, de givre et de soleil. Où l'on n'a que faire de pendre quelqu'un. Nous montâmes sur une petite colline où l'instrument du supplice se trouvait déjà planté.
Le victimaire trouva la corde froide, elle était givrée et coulissait mal. Il me dit d'attendre là, qu'il avait donné rendez-vous à une amie dans un café. Il en profiterait pour prendre de l'huile, et reviendrait dans un moment.
Le temps passait. Il ne revenait pas. Je finis par m'impatienter en me passant moi-même la corde autour du cou, que le soleil venait d'amollir, d'un pied je fis basculer la trappe.
Pierre Bettencourt
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