26/07/2020
"Le Retour des tribus", de Gary Snyder, traduit par Jacques François, Christian Bourgois éditeur, 1/4/1972, 230 pages
Sans quitter la maison
Quand Kai est né
J'ai cessé de sortir
Flâner dans la cuisine - faire du pain de maïs
Ne laisser entrer personne.
Calme plat au courrier.
Masa est allongée sur le côté
Non lave et balaie
Assis nous regardons
Masa donner le sein, et buvons du thé vert.
Des turquoises Navajo pendent au-dessus du lit
Une plume de queue de paon à la tête
Une peau de blaireau de Nagano-Ken
En guise de matelas, sous le drap ;
Un pot de yaourt caille
Sous les couvertures, à ses pieds.
Masa, Kai,
Et Non, notre ami
Dans la lumière verte du jardin réfléchie
Sans quitter la maison.
De l'aube jusqu'au soir tard
faisant de nous-mêmes un monde nouveau
autour de cette vie.
Gary Snyder
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20/07/2020
"Tumulus" de Jean-Loup Trassard, orné de neuf photographies de Jean-Philippe Reverdot, éd. Le Temps qu'il fait, 3/5/1996, 48 pages, 99 F
Ils chargeaient les dromadaires, serraient les cordes, se joignaient en caravanes, chaque automne ils partaient échanger vers le sud, loin, les plaques de sel cassées aux salines. Plus de cent chameaux de bât parfois, conducteurs sur leur méhari, longue file, des jours et des jours, tantôt sable, tantôt pierraille. Femmes, enfants et vieillards gardaient les chèvres autour des tentes de cuir beurré soutenues par des racines d'éthel. Les caravaniers n'avaient qu'un peu de farine, des dattes, les outres pleines pendues à leur selle. Ils cheminaient au pas feutré presque silencieux des chameaux, sable soyeux brûlure cailloux sonores, caravane attachée le soir à la pâle lueur d'un feu. Les cuirs grinçaient, bêtes maugréaient, hommes - vêtements clos, visage caché, tout contre leur souffle le grand halètement chargé de sable - les hommes se taisaient, solitaires, pourtant la caravane était un long corps étroit lié par cordes, qui de sa lenteur rayait le sable sous le tournement des étoiles.
Jean-Loup Trassard
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18/07/2020
"Carnet du soleil", de Christian Bobin, éditions Lettres Vives, 64 pages, février 2011, 13 €
Quand la photographie n'existait pas, il y avait pour se souvenir des disparus leurs portraits peints - et plus précise encore, la visionnaire douceur de vivre. Une congrégation de violettes dans un sous-bois, le télégramme ensoleillé d'un coucou, la jetée de la pluie contre les vitres : la vie élémentaire éclaire en gloire la vie profonde. Les lointains et les proches, les disparus et ceux qu'on retrouve à table sont si peu séparés qu'ils se frôlent tout le jour dans la chambre de l'invisible. Au sol un carreau manque. Il suffit de le savoir, de faire attention. C'est le carreau de la mort.
Ce poème était si beau qu'arrivé à la fin de ma lecture j'ai eu envie de remercier son auteur. Mais comment remercier un mort ? L'essentiel, personne ne nous l'apprend. Je me suis contenté de lever la tête de la page et de regarder en souriant la fenêtre brûlante de nuit.
Christian Bobin
Collage de Daniel Abel
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