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03/08/2020

"L'Euripe ou la belle vie", de Pierre Bettencourt, éditions Brandes, 7 juin 1989, 545 exemplaires, 46 pages

Le supplice


Un victimaire devait me conduire au supplice.
Mais il avait prévu un petit voyage avec une amie, il demanda un congé.
On me garda donc en prison en attendant son retour. Je passai quelques jours heureux à jouer aux dames avec des camarades de cellule et à faire des mots croisés.
Puis le victimaire refit surface, mon heure était venue. Il m'emmena vers le gibet où il devait me pendre. C'était par une belle matinée guillerette d'hiver, de givre et de soleil. Où l'on n'a que faire de pendre quelqu'un. Nous montâmes sur une petite colline où l'instrument du supplice se trouvait déjà planté.
Le victimaire trouva la corde froide, elle était givrée et coulissait mal. Il me dit d'attendre là, qu'il avait donné rendez-vous à une amie dans un café. Il en profiterait pour prendre de l'huile, et reviendrait dans un moment.
Le temps passait. Il ne revenait pas. Je finis par m'impatienter en me passant moi-même la corde autour du cou, que le soleil venait d'amollir, d'un pied je fis basculer la trappe.

 

Pierre Bettencourt

01/08/2020

"Poésies" de Stéphane Mallarmé, éd. Jean-Claude Lattès, mars 1989, 224 pages, 35 F

Le nénuphar blanc


J'avais beaucoup ramé, d'un grand geste assoupi, les yeux au-dedans fixés sur l'entier oubli d'aller, comme le rire de l'heure coulait alentour. Tant d'immobilité paressait que frôlé d'un bruit inerte où fila jusqu'à la moitié la yole, je ne vérifiai l'arrêt qu'à l'étincellement stable d'initiales sur les avirons mis à nu, ce qui me rappela à mon identité mondaine.

Qu'arrivait-il, où étais-je ?

Il fallut, pour voir clair en l'aventure, me remémorer mon départ tôt, ce juillet de flamme, sur l'intervalle vif entre ses végétations dormantes d'un toujours étroit et distrait ruisseau, en quête des floraisons d'eau et avec un dessein de reconnaître l'emplacement occupé par la propriété de l'amie d'une amie, à qui je devais improviser un bonjour. Sans que le ruban d'aucune herbe ne retînt devant un paysage plus que l'autre chassé avec son reflet en l'onde par le même impartial coup de rame, je venais étouffer dans quelque touffe de roseaux, terme mystérieux de ma course, au milieu de la rivière : où tout de suite élargie en fluvial bosquet, elle étale un nonchaloir d'étang plissé des hésitations à partir qu'a une source.

L'inspection détaillée m'apprit que cet obstacle de verdure en pointe sur le courant, masquait l'arche unique d'un pont prolongé, à terre, d'ici et de là, par une haie clôturant des pelouses. Je me rendis compte. Simplement le parc de Madame..., l'inconnue à saluer.

Un joli voisinage, pendant la saison, la nature d'une personne qui s'est choisi retraite aussi humidement impénétrable ne pouvant être que conforme à mon goût. Sûr, elle avait fait de ce cristal son miroir intérieur à l'abri de l'indiscrétion éclatante des après-midi ; elle y venait et la buée d'argent glaçant les saules ne fut bientôt que la limpidité de son regard habitué à chaque feuille.

Toute je l'évoquais lustrale.

Couché dans la sportive attitude où me maintenait de la curiosité, comme sous le silence spacieux de ce que s'annonçait l'étrangère, je souris au commencement d'esclavage dégagé par une possibilité féminine : que ne signifiaient pas mal les courroies attachant le soulier du rameur au bois de l'embarcation, comme on ne fait qu'un avec l'instrument de ses sortilèges.

" - Aussi bien une quelconque..." allais-je terminer.

Quand un imperceptible bruit me fit douter si l'habitante du bord hantait mon loisir, ou inespérément le bassin.

Le pas cessa, pourquoi ?

Subtil secret des pieds qui vont, viennent, conduisent l'esprit où le veut la chère ombre enfouie en la batiste et les dentelles d'une jupe affluant sur le sol comme pour circonvenir du talon à l'orteil, dans une flottaison, cette initiative par quoi la marche s'ouvre, tout au bas et les plis rejetés en traîne, une échappée, de sa double flèche savante.

 

Stéphane Mallarmé

20:21 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

31/07/2020

"Les Enchantements de Prudence" de Hortense Allart, Paris, Michel Lévy frères, 1873

Envie d'aller voir, dans le cinquième parisien, à l'angle du boulevard de l'Hôpital et de la rue Buffon, si le restaurant Arc-en-ciel n'est pas tombé en poussière, ce restaurant où allaient déjeuner Chateaubriand et sa dernière conquête, la jeune Hortense Allart, quarante ans de moins que lui, après s'être promenés dans les allées désertes du Jardin des Plantes, alors Jardin du Roi. Ils avaient au premier étage une petite pièce à eux qui s'ouvrait sur la campagne.

Comme elle le raconte dans son roman autobiographique, Les Enchantements de Prudence, après être revenu longuement sur son grand âge, l'approche de la mort et la fin de tout ici-bas, "il demandait du vin de Champagne pour animer, disait-il, ma froideur : je lui chantais alors quelques chansons de Béranger, Mon âme, la Bonne Vieille, Le Dieu des bonnes gens... Touché, il revenait sur lui-même, disait qu'il eût aimé être poète.
Ces chansons le sortaient de sa mélancolie, éveillaient son génie, le jetaient dans un état exalté, triste et doux... Plus amoureux, plus vif, il me disait que je lui donnais les plaisirs les plus charmants, m'appelait séductrice... et dans cet endroit solitaire, il faisait tout ce qu'il voulait".

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01:51 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)