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04/06/2020

"L'enfance est mon pays natal", de Joël Vernet, éd. Cadex, ill. de Jean-Gilles Badaire, janvier 2000, 775 ex., 32 pages

Il m'arrive encore aujourd'hui, en toutes saisons, mais en particulier dans l'effervescence justement du printemps lorsque la terre paraît en mutation, d'emprunter l'étroite route qui va de Saugues au Malzieu, par la montagne. Cette route minuscule monte progressivement vers de hauts plateaux couverts de pâturages désertiques où paissent parfois des troupeaux qui semblent égarés, abandonnés et ouvre brutalement, dans sa lumière étonnante, sur l'horizon, sur l'infini, esquissant comme un soupçon de mer dans le lointain. Elle a laissé derrière elle de maigres hameaux, un lieu-dit, La Baraque de Bugeac, flanqué d'une seule habitation où je n'ai jamais vu personne demeurer, vivre. Ce lacet de goudron est la route d'un pèlerinage secret qui m'est devenu coutumier car, franchissant la borne de pierre plantée au bord du fossé, borne indiquant le département voisin, celui de la Lozère, j'éprouve enfin ma respiration naturelle, c'est-à-dire un goût avéré pour le large, pour l'aventure libre de la parole qu'englue forcément l'esprit de clocher. Depuis longtemps, ce lieu est pour moi un lieu de dimension méditative même si je n'y fais que passer, à l'écart des guerres que se livrent les hommes. Il témoigne d'une existence terrestre possible pour peu que l'on sache ouvrir les yeux sur la nature et sur les êtres.

 

Joël Vernet

08:16 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

03/06/2020

"Fils de la lumière et de l'ombre", de Miguel Hernandez, traduit par Sophie Cathala-Pradal, encres de Juan Jordá, éditions Sables, octobre 1993, 500 exemplaires numérotés

L'ombre demande, exige des êtres qui s'enlacent,
Baisers qui la constellent de longs éclairs d'orage,
Bouches exaspérées, battues et qui tenaillent,
Roucoulements pour orchestrer ses léthargies.


Elle veut nous jeter, toi et moi, sur le lit
Toi et moi sur la lune, toi et moi sur la vie.
Elle veut, toi et moi brûlés, que dans nos gorges
Se fonde avec le ciel la terre qui tressaille.


Le fils est dans cette ombre qui accumule étoiles,
Moelle, lune, amour, claires obscurités.
Il jaillit de ses creux et de son indolence,
Et de ses solitaires et éteintes cités.

 

Miguel Hernandez

07:14 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

02/06/2020

"Le grondement de la montagne", de Yasunari Kawabata, traduit par Sylvie Régnault-Gatier et Hisashi Suematsu, éd. Albin Michel, 20/12/1968

Les cloches du printemps


C'était la saison des fleurs ; les cloches des temples sonnaient toute la journée pour les fêtes commémorant le sept centième anniversaire de la capitale bouddhiste, Kamakura...
Shingo contemplait les cerisiers épanouis dans le jardin.
Au pied du plus haut foisonnaient des aralias, plantes que Shingo n'aimait pas. Avant la floraison des cerisiers, il avait eu l'intention de les supprimer, mais il avait abondamment neigé pendant le mois de mars, et voilà qu'il regardait les arbres fleurir.
Environ trois ans auparavant, Shingo avait coupé les aralias au niveau du sol, ce qui n'avait eu d'autre effet que de les fortifier. Il avait alors pensé qu'il ne s'en débarrasserait qu'en les déracinant ; voilà ce qu'il aurait dû faire.
Depuis une remarque de Yasuko, le vieillard s'était pris d'une horreur plus vive encore pour le vert cru du feuillage. En l'absence de ces touffes, le grand tronc du cerisier se dessinerait bien et les branches s'étendraient dans toutes les directions, sans aucun empêchement, jusqu'à toucher terre de leurs extrémités.
D'ailleurs, même avec ces aralias, les branches retombaient très bas.
"Quelle masse de fleurs !"
Dans la lumière de l'après-midi, les fleurs de cerisier flottaient avec splendeur sur le ciel. Ni leur couleur ni leur forme n'étaient très accusées, mais elles emplissaient l'espace. L'arbre se trouvait à l'apogée de son épanouissement, - comment croire que toutes ces fleurs fussent condamnées ?
Mais, pétale après pétale, elles s'effeuillaient, et sous le cerisier, les fleurs tombées s'amassaient.

 

Yasunari Kawabata

08:47 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)